Fiscalité personnelle


Publié le 28 juil. 2025 par Ufuk ZOBALI

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Comment le Luxembourg entend améliorer la fiscalité du carried interest pour attirer les gestionnaires de fonds ?

Le Luxembourg s'apprête à transformer radicalement la fiscalité du carried interest, ces intéressements aux performances que touchent les gestionnaires de fonds d'investissement. Cette réforme, portée par le projet de loi 8590 déposé le 24 juillet 2025, vise à renforcer considérablement l'attractivité de la place financière luxembourgeoise face à ses concurrents européens.

Comprendre le carried interest : la rémunération de la performance

Pour bien saisir l'importance de cette réforme, il faut d'abord comprendre ce qu'est le carried interest.

Imaginez un gestionnaire de fonds qui investit l'argent de ses clients. Au-delà d'une rémunération fixe, il reçoit une part des profits générés lorsque le fonds surperforme. Cette part, c'est le carried interest. Il fonctionne comme une prime de performance qui aligne les intérêts du gestionnaire avec ceux des investisseurs : plus le fonds performe, plus tout le monde y gagne.

Traditionnellement, ce mécanisme se déclenche une fois qu'un certain seuil de rentabilité est atteint, généralement autour de 8% par an (le fameux hurdle rate). Au-delà de ce seuil, le gestionnaire peut percevoir typiquement entre 15% et 20% des profits supplémentaires. C'est ce qui motive les équipes de gestion à rechercher les meilleures opportunités d'investissement.

La situation luxembourgeoise avant 2025

Jusqu'à présent, le Luxembourg proposait des régimes fiscaux pour le carried interest, mais leur portée restait limitée.

  • L'ancien régime "impatrié", créé entre 2013 et 2018, ne s'appliquait qu'aux nouveaux résidents venant s'installer au Luxembourg.
  • Un autre régime1 concernait spécifiquement les employés des sociétés de gestion de fonds alternatifs, mais ses conditions strictes le rendaient peu adapté aux pratiques réelles du marché.

Ces limitations freinaient l'installation au Luxembourg des équipes d'investissement et des décideurs, ce qu'on appelle les fonctions "front office" dans le jargon financier.

Les deux nouveaux régimes : une révolution fiscale

La réforme propose dorénavant deux régimes fiscaux distincts, chacun adapté à une forme spécifique de carried interest. Cette approche nuancée reconnaît la diversité des structures utilisées dans l'industrie.

Le premier régime, dit "contractuel", s'applique lorsque le carried interest est versé sur la base d'un simple contrat, sans que le bénéficiaire ne détienne de parts dans le fonds. Dans ce cas, l'imposition sera réduite au quart du taux normal, ce qui représente un taux effectif maximum d'environ 11,45%. Pour mettre cela en perspective, sur un carried interest de 5 millions d'euros, l'impôt ne serait que de 520 500 euros, contre 2 082 000 euros avec le régime fiscal ordinaire2.

Le second régime, dit "de participation", concerne les situations où le carried interest est lié à la détention de parts dans un fonds d'investissement alternatif (AIF). Si ces parts sont détenues pendant plus de six mois et représentent moins de 10% du capital du fonds, le carried interest devient totalement exonéré d'impôt. C'est une incitation forte à l'investissement personnel des gestionnaires dans leurs propres fonds.

Une ouverture à plus de bénéficiaires

L'une des innovations majeures de cette réforme est son champ d'application élargi. Contrairement aux régimes précédents, ces nouveaux dispositifs ne se limitent pas aux seuls salariés. Ils s'étendent aux administrateurs, aux conseillers externes, et à tous les professionnels qui contribuent à la performance des fonds. Cette ouverture reflète la réalité moderne de l'industrie, où les talents peuvent intervenir sous diverses formes juridiques.

La réforme prend également en compte la complexité des structures d'investissement luxembourgeoises. Elle neutralise l'effet de la transparence fiscale des véhicules couramment utilisés comme les sociétés en commandite spéciale (SCSp) ou les fonds communs de placement (FCP). En pratique, cela signifie que le carried interest conserve son traitement fiscal avantageux même s'il transite par ces structures intermédiaires.

Le Luxembourg face à la concurrence internationale

Cette réforme place le Luxembourg en position de leader européen en matière de fiscalité du carried interest. Pour comprendre l'ampleur de cet avantage, il faut regarder ce qui se passe ailleurs en Europe.

Au Royaume-Uni, longtemps considéré comme la référence pour le private equity européen, la fiscalité du carried interest va considérablement s'alourdir en avril 2026, passant à environ 34% avec la requalification en profits d'exploitation. L'Espagne, malgré sa loi Start-up de 2023, maintient des taux entre 22,5% et 27% avec des conditions de détention minimale de cinq ans. L'Italie applique un taux forfaitaire de 26% sous certaines conditions strictes.

Face à ces juridictions, le Luxembourg propose désormais soit une imposition à 11,45%, soit une exonération totale. C'est un différentiel considérable qui ne manquera pas d'attirer l'attention des professionnels du secteur.

L'impact sur l'industrie luxembourgeoise du private equity

Le Luxembourg n'est pas novice dans le domaine des fonds d'investissement. Le pays héberge déjà 51,5% des fonds de private equity européens et gère plus de 5 780 milliards d'euros d'actifs entre les fonds traditionnels (UCITS) et alternatifs (AIF). Cette réforme vient renforcer cette position dominante.

L'effet d'attraction ne se limite pas au carried interest lui-même. La réforme s'inscrit dans un ensemble plus large de mesures fiscales attractives. Le nouveau régime impatrié, par exemple, permet une exonération de 50% du salaire jusqu'à 400 000 euros pour les nouveaux arrivants. Combiné avec le régime du carried interest et le futur régime des stock-options, le Luxembourg offre un package complet pour attirer les équipes de gestion.

Les points d'attention pour les professionnels

Les bonus classiques déguisés en carried interest seront exclus du régime favorable. De même, l'attribution gratuite de parts donnant droit au carried interest reste imposable au moment de l'allocation, comme un avantage en nature.

Un point technique reste à clarifier : le traitement des distributions successives de carried interest. Chaque versement doit-il être considéré comme une cession partielle nécessitant de vérifier à nouveau les conditions de détention ? Les professionnels attendent des précisions sur ce point.

Les structures juridiques existantes doivent être revues pour s'assurer qu'elles permettent de bénéficier des nouveaux régimes.

La tenue d'un registre précis des dates d'acquisition des participations devient clé pour justifier de la période de détention de six mois. Les documents contractuels, notamment les accords de Limited Partnership et les mécanismes de distribution (waterfall), devront être adaptés pour refléter le cadre de la nouvelle réforme.

Une vision d'ensemble pour l'avenir

Cette réforme s'inscrit dans une stratégie globale du Luxembourg pour maintenir et renforcer sa position de centre financier européen majeur. En combinant une fiscalité attractive, une infrastructure réglementaire éprouvée et un écosystème technologique en développement, le Grand-Duché se positionne comme le hub incontournable pour la gestion d'actifs alternatifs en Europe.

En offrant soit une imposition plafonnée à 11,45 %, soit une exonération intégrale, Luxembourg devient de facto la juridiction la plus compétitive d’Europe pour la taxation du carried interest. Les gestionnaires de fonds disposent ainsi d’un levier puissant pour attirer (et conserver) les talents, tout en consolidant la place luxembourgeoise comme hub incontournable du private equity et de l’alternatif.

 


1. Article 99bis de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu (LIR).
2. Le taux moyen retenu pour le calcul est de 41,64 % contre 10,41 % pour le régime du quart du taux. Ce calcul ne prend pas en compte la partie du Fonds pour l'emploi qui reste due.


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